Revivez #LaREF25 - "Il faut sauver le débat public !"
Avec Yaël Braun-Pivet, Nicolas Dufourcq, Eric Dupond-Moretti, Pierre Louette, Chloé Morin, Matthieu Stefani et animé par Emmanuel Kessler.
Verbatim
Chloe Morin : "Les acteurs du débat public sont rarement dans une position où Ils essayent d'aller chercher un compromis, mais dans une posture qui disqualifie la contradiction."
"Cette dégradation du débat public, nous n'en sommes qu'au début, parce qu'a lieu aujourd'hui un basculement du débat public, des médias traditionnels vs les plateformes."
"Les journalistes sont soumis à des règles de déontologie et, globalement, les médias ne peuvent pas faire n'importe quoi. Or, les plateformes, elles, suivent une logique très différente, celle d'accentuer en permanence le buzz et le clash."
Yaël Braun-Pivet : "Il ne faut pas avoir une vision idyllique de ce que pouvait être le débat à l'Assemblée nationale dans les temps anciens. L'Assemblée nationale est le lieu du débat, et parfois le débat est agité et animé, et il en a toujours été ainsi."
"A cela, se surajoutent les réseaux sociaux, qui font que finalement l'hémicycle devient un écrin pour des manifestations verbales, physiques, qui ne visent pas à convaincre ses adversaires politiques, mais qui vise simplement à faire du show et de l'agitation, qui va pouvoir après être relayée sur les réseaux sociaux."
Eric Dupond-Moretti : "Le débat public est mort, d'abord parce que nous assistons à une baisse de niveau, les débats, notamment à l'Assemblée nationale, il y a de cela 150 ans, était d'un autre niveau."
"Les extrêmes, c'est le populisme. Il n'y a plus de nuances. On est dans la radicalité. La radicalité, c'est le contraire du débat."
"J'ai passé ma vie de ministre de la Justice à tenter de démontrer, chiffres à l'appui, que la justice n'était pas laxiste, mais cette idée de justice laxiste est une idée relayée par le Rassemblement national, pour dire que la justice est laxiste et génère de la délinquance."
"On a décidé depuis une semaine sur CNews que le président de la République n'avait rien fait pour lutter contre l'antisémitisme, on reprend la critique de Netanyahu et ça vient conforter le fait que le président de la République n'a rien fait. Ce qui est entièrement faux !"
"Oui, le débat public aujourd'hui est pourri !"
Pierre Louette : "Le fait lui-même est un objet de discussion. ça c'est quand même un peu embêtant quand on veut construire non pas sur du sable, mais sur des réalités."
"La deuxième chose, qui me fascine beaucoup dans la période dans laquelle on est, c'est la déception vis-à-vis de la démocratie."
"Le réseau social aujourd'hui, c'est le lieu où ne pas rencontrer les autres, c'est le lieu où se rencontrer soi-même."
"Les réseaux sociaux deviennent asociaux finalement."
Matthieu Stefani : "Il y a 40 ans, le PAF, c'était six chaînes, trois stations de radio, trois chaînes de télé, et aujourd'hui, le PAF, c'est 70 millions de chaînes potentielles. C'est quand même un progrès extraordinaire, phénoménal."
"On n'est pas obligé d'abrutir les gens, on n'est pas obligé de suivre ce que les algorithmes nous proposent et nous imposent."
"Les Français sont plus intelligents que ce qu'on pense et on peut leur proposer des choses qu'ils veulent apprendre."
Nicolas Dufourcq : "Si on avait écouté les chefs d'entreprise depuis 1974, on n'en serait pas là."
"Le débat public est complètement vérolé, parce que le centre, la source-même, ne sait pas communiquer, ne sait pas se défendre, ne sait pas expliquer."
"Soit on joue le jeu de Tik Tok et des algorithmes, soit on entre dans l'arène."
"Les gens auxquels vous pensez parler n'existent pas. Ce sont des avatars d'intelligence artificielle pur et simple. Ils ont des filles, ils ont des chats, ils ont des chiens, leurs enfants sont malades, tout est faux...Il faut que les gens le comprennent."
Eric Dupond-Moretti : "Le débat public, c'est aussi un élément de guerre informationnelle, qui a des ingérences extérieures, qui pousse à cette dégradation actuelle "
"Il y a des années, des années, des années que cette saloperie de rumeur prospère."
"Faudrait peut-être qu'on s'interroge sur le fonctionnement de la presse, parce qu'on est en train de tuer le débat public et la liberté de la presser."
Nicolas Dufourcq : "L'algorithme, c'est la grammaire du monde numérique."
"On est en état de dépendance économique la plupart du temps par rapport à des gens qui nous apportent du trafic."
Chloé Morin : "Il faut changer les règles du jeu et contraindre les plateformes à rendre transparente leur stratégie, qui vise à capter notre attention et à la retenir le plus longtemps possible."
"Les médias sont déjà inféodés aux plateformes."
Yaël Braun-Pivet : "Il faut avoir confiance, parce que si on n'a pas confiance, c'est la démocratie qui est en danger et cela n'est pas acceptable. Il faut absolument qu'on arrive à recréer à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans notre vie politique, d'une façon générale."
"Aujourd'hui, en France, on débat et on légifère mal."
"Il faut absolument retrouver du temps long, parce que le débat, ça nécessite du temps long, on ne débat pas en 30 secondes ou en 200 mots."
"Il ne faut pas débattre simplement entre politiques, il faut débattre avec les citoyens, il faut débattre avec la société civile organisée, il faut débattre avec les chefs d'entreprise, il faut débattre avec les syndicats, il faut débattre avec les associations."
"Je crois que sur des sujets fondamentaux, qu'ils soient économiques, qu'ils soient sociaux, il faut associer la société pour pouvoir arriver à des décisions acceptées par tous."
Nicolas Dufourcq : "Il faut que les entrepreneurs montent sur leur tonneau. On ne les entend pas ou peu."
Eric Dupond-Moretti : "Le compromis, c'est la nuance, or l'époque n'est plus à la nuance, mais au yakafokon."
"De plus en plus de jeunes ont de moins en moins de mots et moins de mots, cela veut dire plus de violence."
Chloé Morin : "Dans le centre, qui irait du Parti socialiste jusqu'à LR, donc un centre élargi, on est fatigué de la manière dont le débat public se déroule et du coup, on se désengage."
Pour aller plus loin
Dans nos sociétés démocratiques, le débat public constitue le fondement de la vie collective. Il permet l’échange d’idées, la confrontation des opinions et l’élaboration de décisions communes. Or, à l’ère numérique, ce débat est de plus en plus menacé par deux phénomènes majeurs : l’hyperpolarisation, qui radicalise les positions, et la prolifération de fake news, qui obscurcit la vérité et nourrit tous les complotismes. Ces dérives minent les fondements de la démocratie. Dès lors, peut-on encore sauver le débat public afin de la préserver ? Certains estiment indispensable de réguler fortement les échanges pour garantir un débat sain, alors que d’autres y voient un risque majeur de censure et d’atteinte à la liberté d’expression. Comment arbitrer entre protection du débat démocratique et respect des libertés individuelles ? Quels choix décisifs faire aujourd’hui pour restaurer demain la confiance citoyenne ?
Un débat public fragilisé par la désinformation
Un des traits marquants du débat public contemporain est son extrême polarisation. Les plateformes numériques, via des algorithmes qui privilégient les contenus émotionnels ou clivants, favorisent la formation de « bulles cognitives », où les individus ne sont exposés qu’à des opinions similaires aux leurs. Cela renforce les convictions préexistantes et engendre un rejet de la contradiction, perçue comme une hostilité. Aux États-Unis, par exemple, la polarisation idéologique entre Républicains et Démocrates atteint un niveau tel que le dialogue devient quasiment impossible. Barack Obama, dans un discours sur la désinformation en 2022, l’a clairement dénoncé : « les algorithmes de nos plateformes ne récompensent pas la vérité, mais la viralité ».
En France, les débats sur l’identité, la sécurité ou la laïcité illustrent aussi cette fragmentation. Autre exemple, durant la pandémie, des rumeurs infondées sur les puces dans les vaccins, ou l’origine du virus ont massivement circulé, affectant les comportements collectifs et les politiques de santé publique. A cela s’ajoute une vraie crise de la représentation et une défiance croissante envers les institutions. Quelque chose ne va plus dans le débat public : d’un côté une parole sans limite, valorisée sur les réseaux sociaux, de l’autre une parole empêchée, au nom de l’exigence de minorités à ne pas être offensées dans leur identité.
Plus que jamais, la société de l’information, consubstantielle de la démocratie, est atteinte du virus des fake news. Depuis la victoire du Brexit, leur prolifération repose sur les algorithmes, qui valorisent la viralité et les communautés de semblables, qui renforcent nos biais cognitifs et qui avantagent les fausses informations aux dépens des faits. Quelques jours après l’inauguration du second mandat de Donald Trump sous le regard bienveillant des « oligarques » de la Silicon Valley, feu le pape François lui-même alertait contre la « désinformation qui trop souvent simplifie la réalité pour provoquer des réactions instinctives ». Au-delà de l’intox, une mauvaise information peut être un acte malveillant intentionnel ou plus simplement une rumeur, le « plus vieux média du monde », selon Jean-François Revel. A l’heure d’Internet, une erreur répétée des millions de fois fait très vite office de vérité. Selon une récente étude, la plupart des Américains croiraient ainsi aux fake news qu’ils lisent. Parallèlement, la confiance accordée par la population aux médias a considérablement chuté et seuls 38 % de la population leur fait confiance. Et c’est dans ce contexte que l’administration Trump ferme définitivement l’agence fédérale américaine de lutte contre la désinformation, au moment même où des experts alertent sur les risques venus de Chine et de Russie ! Dans le même esprit, Marc Zuckerberg a mis fin au fact-checking et à la modération sur Facebook et Instagram au nom de la défense de la liberté d’expression.
Une menace réelle pour la démocratie
Qu’on ne s’y trompe pas, les fake news ne sont pas « des blagues inoffensives ». Selon une étude du MIT, une fake news a 70 % plus de chances d’être repostée qu’une information vérifiée, parce qu’elle choque, fait peur ou indigne. L’émotion l’emporte alors sur la raison. Elles représentent de ce fait une menace directe pour le bon fonctionnement de nos démocraties, à tel point que certains chercheurs parlent aujourd’hui de « pollution informationnelle ». Elles surgissent souvent dans les moments de crise, où l’incertitude alimente la crédulité : pandémie, guerre, élections… Or, la démocratie suppose des débats fondés sur des faits véritables, qui permettent de délibérer et de faire des choix éclairés. Les conséquences sont profondes. La confiance dans les médias, les scientifiques, les institutions recule, le dialogue devient impossible, le débat se crispe.
Dans cet environnement, le terrain devient fertile pour le populisme et l’autoritarisme. La lutte contre la désinformation est donc fondamentale pour renforcer la résilience de nos sociétés et la maîtrise des médias. « Il est nécessaire que le débat public soit libre et pluriel pour que le public soit informé et puisse faire face à la désinformation », déclare Antonio Guterres en préambule du rapport de l’ONU sur la lutte contre la désinformation. Ce rapport fait des propositions clés au niveau des Etats, comme « respecter la liberté d’expression, en garantissant l’accès à l’information et en promouvant le pluralisme des médias » ou encore « s’assurer que les agents publics partagent des informations exactes et tiennent responsables les autorités qui diffusent de fausses informations ». Il s’adresse aussi aux entreprises technologiques, à qui il est demandé « d’éviter d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme » et « d’assurer une plus grande transparence et de donner accès aux données et informations pertinentes ». Les grandes plateformes numériques sont devenues des acteurs centraux du débat public. Il est donc impératif de les soumettre à des obligations de transparence et de responsabilité. C’est ce que vise aussi le Digital Services Act, adopté en 2022 par l’UE, qui impose aux grandes plateformes des mesures de lutte contre la désinformation, notamment en période électorale. Mais bien sûr, tout cela interroge sur le respect de la liberté d’expression.
Protection du débat démocratique vs respect des libertés individuelles ?
Dans les sociétés démocratiques, la liberté d’expression est un droit fondamental garanti par l’État. Elle va de pair avec la liberté de la presse. En France, c’est l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adopté le 24 août 1789, qui a donné une existence juridique à la liberté d’expression : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ». Aux Etats-Unis, elle est garantie par le premier amendement de la Constitution, adopté en 1791 : « le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation de torts dont il se plaint ». Cette liberté n’est cependant pas un absolu et elle est restreinte par de nombreuses limites. On ne peut pas tout dire. Si, comme l’affirme Spinoza, « la liberté de penser est un droit naturel et inaliénable », il n’en va pas tout à fait de même avec la liberté de s’exprimer. Insultes racistes, propos sexistes, pornographiques ou diffamatoires, incitations à la haine et à la violence, négation des crimes contre l’humanité…des restrictions nécessaires existent, encadrées et punies par la loi afin de protéger l’ordre public. Mais attention à ne pas aller trop loin et à ne pas dériver vers la censure. Plus la régulation est sévère, plus la peur des sanctions ou de la stigmatisation peut conduire à une standardisation du discours public et à un appauvrissement du débat. Hannah Arendt rappelait que la démocratie suppose « la pluralité des opinions et la confrontation des points de vue ». Sans cette diversité, le débat se transforme en monologue idéologique. La tension entre protection du débat démocratique et respect des libertés individuelles est au cœur des défis politiques contemporains. S’il est légitime de vouloir encadrer les dérives qui menacent le vivre-ensemble, il est tout aussi vital de veiller à ce que ces encadrements ne se transforment pas en instruments de censure ou de contrôle autoritaire.
Comment restaurer la confiance citoyenne ?
« La démocratie repose sur la confiance, mais cette confiance ne peut être aveugle », écrivait Pierre Rosanvallon dans La légitimité démocratique. La confiance citoyenne est en effet un des piliers de la démocratie. Sans elle, les institutions perdent leur légitimité, les règles communes sont contestées et le contrat social se fragilise. Or, depuis plusieurs décennies, de nombreux signes témoignent d’un affaiblissement de cette confiance : désaffection électorale, montée de la défiance envers les élites, circulation massive de théories complotistes et polarisation des sociétés. Cette crise de confiance nourrit à son tour des replis populistes, des tensions sociales et parfois une forme de paralysie politique. L’hyperpolarisation, la désinformation et la défiance fragilisent en effet gravement la fonction délibérative du politique. La confiance suppose des institutions plus lisibles, plus exemplaires et mieux contrôlées. L’un des enjeux consiste donc pour les institutions, comme pour les citoyens, à se recentrer sur le principe délibératif, afin de préserver, voire de renouveler, la légitimité du système démocratique. Pour cela, le débat public doit être favorisé non seulement dans le cadre institutionnel, mais aussi dans l’espace informationnel que représentent les réseaux sociaux, qui comptent désormais plus de 5 milliards d’utilisateurs à l’échelle mondiale. Il ne suffit pas de lutter contre les dérives, il faut aussi reconstruire des espaces de débat légitimes, inclusifs et efficaces. Pour sauver le débat public et restaurer cette confiance citoyenne, sans laquelle aucune démocratie ne peut prospérer, des choix décisifs s’imposent. Mais Lesquels ?